JE PREVIENS : cette nouvelle n'est pas gore mais peut heurter certaines sensibilité.
Bonne lecture pour ceux qui veulent la lire !
Frankie
L’homme marchait dans la ruelle sombre et déserte. Ses pas martelaient le pavé gris, les faisant résonner. Ses yeux mobiles balayaient les bâtiments qui l’entouraient. De droite à gauche. Si quelqu’un ne dormait pas à cette heure-ci et qu’il avait aperçut cette silhouette, il vous aurait juste dit Frankie. Car c’est comme ça que s’appelait l’homme qui arpentait la ruelle, Frankie. Il portait des vêtements qui puaient l’eau de Cologne, ses ongles étaient noirs de crasse, ses yeux hagards vous donnaient l’impression qu’il rêvait en permanence. Mais ce soir-là, il s’agitait, il n’était plus lui-même, calme et réfléchi comme tout le monde le connaissait. Il marchait de plus en plus vite, se forçant à ne pas courir. Finalement, il s’arrêta sous un lampadaire miteux, rongé par la rouille. Ses yeux bougeaient de plus en plus vite : droite gauche droite gauche. On aurait dit qu’il guettait. Mais il n’y avait personne.
Il regardait sa montre : minuit moins cinq. Un soupir lui échappa et il commença à se dandiner sur place. Il se mit à réfléchir, un peu, sur sa vie, comment il l’avait raté, comment sa mère avait été déçue de son comportement... Mais bon, ce n’était ni le lieu, ni le moment de songer à cette vielle peau qui lui avait donné la vie, il avait mieux à faire.
Alors qu’il commençait à suer à grosses gouttes dans son T-shirt taché, des phares se braquèrent sur lui. Une peur panique le paralysa sur place, l’empêchant de faire ne serait-ce qu’un mouvement. Finalement la berline, car c’était une berline, éteignit son moteur et en même temps ses drôles de projecteurs. Les yeux de Frankie se réhabituèrent à l’obscurité de la ruelle et il put voir une forme humaine sortir de la voiture et venir vers lui. Pendant qu’elle s’approchait, il la détailla rapidement, et ce qu’il vit le fit presque vomir. L’estomac au bord des lèvres, il laissa la fille habillée en prostituée s’approcher. Elle devait avoir à peine quinze ans, mais son regard froid et calculateur lui en donnait au moins cinq de plus. Mais il n’eut pas un tressaillement, seuls ses yeux le trahirent, rempli de colère et de dégoût envers le mac de cette fille, car il ne laissait aucun doute qu’elle en avait un. Au bout d’un moment, la fille le toisa d’un air hautain et finalement parla :
- T’as le fric ?
- Ouais… il sortit cinq billets de vingt euros d’une main un peu tremblante.
- Tiens, la came, lui dit-elle en lui arrachant les billets des mains.
Elle lui lança un petit sac rempli d’une poudre blanche et s’enfuit en courant vers la berline. L’homme regarda la drogue d’un air égaré, presque ébahi qu’elle se soit retrouvée dans sa main. Finalement il la glissa dans la poche intérieure de son imper miteux en oubliant le sort de la fille qu’il avait croisé. Il était de nouveau seul sur le trottoir, avec le lampadaire pour seul témoin de cette scène.
***
*
Il referma la porte de son studio du cinquième étage d’un coup de talon. Ses mains moites essayaient de se saisir du paquet devenu glissant avec la transpiration. Il réussit à l’ouvrir après quatre essais infructueux et en versa un peu, plus de la moitié et finalement le vida sur la seule table qui meublait son studio. C’était une table basse fendillée en bois presque massif, et il dut se mettre à genoux pour pouvoir être sur de ne pas reverser de la poudre par terre. Il s’appliqua et rapidement, la drogue forma un trait fin. Il traversait la table en deux en diagonal, d’un bout à l’autre. Le sachet vide mis à la poubelle, il se mit en quête d’une paille assez large capable d’aspirer tout le « rail » d’un coup. Il la trouva dans la cuisine à côté d’une bouteille d’eau croupie et revint le plus vite possible devant la table, de nouveau à genoux.
Il tremblait d’anticipation, comme s’il était malade. Ses yeux brillaient de plaisir, il avait envie de faire durer ce moment mais en même temps avait hâte que l’attente interminable se finisse enfin. Il emboîta la paille dans sa narine droite et se boucha l’autre pour que l’air n’y passe pas. Il essaya de n’aspirer que le début du trait blanc, mais la tentation fut trop forte et le « rail » disparu en quelques secondes. L’homme, à demi allongé sur la table, poussa un soupir de soulagement, sentant la sensation de manque s’évaporer comme si elle n’avait jamais existé.
Il se laissa enfin aller, glissa par terre volontairement et contempla le plafond pourri et moisi dans un état second. Les yeux à demi fermés, un sourire béa scotché sur les lèvres, il s’endormit…
…pour ne plus jamais se réveiller.
***
*
Les sirènes hurlaient dans la rue quand je suis rentré cette nuit, je revenais de la sortie quotidienne que je faisais avec la chienne. Des ambulanciers venaient de sortir de l’immeuble en face du mien, ils transportaient un brancard avec un corps. J’ai eu un haut-le-corps quand j’ai remarqué qu’ils avaient recouvert la tête, il s’agissait alors d’un cadavre. Deux policiers buvaient un café dans un coin attendant certainement leur tour, mais ce qui m’a la plus marqué, ce fut la foule compacte de l’autre côté de la route, devant mon immeuble. Je me dirigeais discrètement vers Mme Fayet, la plus grande commère du quartier. Elle était facile à repérer : des bigoudis rose bonbon sur la tête, un robe de chambre vert kaki et un son ininterrompu venant de sa bouche.
Tandis qu’elle discutait avec deux autres femmes de l’immeuble, je l’écoutais le plus discrètement possible. Ce n’était pas difficile, il fallait juste se situer à moins de dix mètres d’elle.
- C’est l’Frankie, ’toute façon, tout le monde savait qu’il allait y rester. Y restait pas plus d’une heure net, ensuite il lui fallait sa dose. Au moins, ça fait un toxico de moins dans la rue, racontait-elle à qui voulait bien l’entendre.
Le groupe formé autour d’elle semblait d’accord. Moi, je ne l’étais pas. Cette vieille peau ne connaissait même pas Frankie, ou alors juste de vue. Elle ne racontait pas que des bobards, mais là, elle abusait. Elle ne connaissait pas la drogue et son milieu, moi si, même si jamais je n’en ai touché. En plus, personne ne savait que Frankie touchait à la drogue, à part ceux quoi y touchent eux-mêmes. On se demandait comment elle a put le savoir, car d’après la tête étonnée des autres, les flics n’avaient pas cafté.
Je me suis éloigné discrètement, comme à mon habitude. En entrant dans le hall de mon immeuble, je serrai brièvement la cigarette restée dans la poche de mon jeans. Au moins, cela ne me tuera pas.
FIN
Verdict ??