La chute d'une déesse [Mythologie Indou - Passage inventé]

Immobile, sur ce sol frémissant de vie, cette verdure qui glissait nébuleusement contre la peau de soie d’une jeune fille qui sommeillait, intriguant les quelques jeunes hommes attroupés autour d’elle. Passant par instant leurs mains sales et poisseuses dans sa chevelure flamboyante, ils s’interrogeaient, se questionnaient sur cette étrangère à la peau aussi pâle que le serait du lait, aux courbes délicatement dessinées, à l’image de ces femmes qui peuplaient la demeure d’un homme riche et puissant. Pourtant, elle ne ressemblait à aucune demoiselle de cette région qu’ils envahissaient, et même au-delà des mers, les terres ne portaient en leurs seins de femme possédant cette couleur de flammes en parure naturelle. Créature bannie du ciel par ses pairs, la Déesse gémissait à présent faiblement, esquissant quelques soubresauts prédisant son réveil prochain, ternissant les pensées que ces hommes pouvaient avoir. Prudemment, la belle endormie souleva une paupière sous les rires goguenards et les moqueries mesquines qu’elle entendit et qui terminèrent de la tirer des bras d’un Morphée d’illusion.

« La petite princesse s’éveille enfin ? questionna l'un d'eux, dont l'oeil droit n'était plus apparent.
- Alors petite, qu’est-ce que tu fais par ici ?
- Sûrement que c’est une esclave !
- Oui ! Et on aura fait fuir ses sales charognards de vendeurs !
- Hé hé, t’entends ça ma jolie, on t’a sauvée ! grogna un autre, tout en remontant sensiblement son pantalon que l'armure faisait glisser.
- Laissez-là, vous allez lui faire peur…
- Alors maintenant, faut nous remercier. »

Découvrant ces êtres mortels qui ne cessaient de l’effleurer, stupéfaits de découvrir un regard possédant mille éclats d’émeraude, méconnu dans ces terres chaudes et croyantes, mais également des leurs, la jeune femme eut un geste de recul, se relevant rapidement pour fuir derrière la première chose qu’elle entrevit, protection dérisoire contre ce monde qu’elle ne désirait point connaître. Laissant d’autres moqueries se faire percevoir sous l’odeur du sang, cette fragrance qu’elle ne connaissait pas jusqu’ici et qu’elle n’aurait jamais voulu connaître.

« Hey, où tu vas comme ça ?
- Reviens, on ne te fera rien, promis…
- … »

L’écorce brune d’un arbre la recueillit, laissant sa peau ressentir chaque petite irrégularité de celle-ci, sensation étrange qu’elle n’appréciait pas, mais sans doute déjà plus que les doigts envahissants des barbares. Menant sa main à son front, son regard se dissimula brièvement derrière ses paupières, alors que son souffle se faisait plus sourd. Tandis qu’elle se mettait à mordiller ses lèvres sous l’anxiété qui sinuait le long de son être fragile, tout en continuant à écouter les paroles insolentes de ces hommes qui la prenaient pour une vulgaire esclave, de celles qui tôt ou tard finissaient dans la couche d’un seigneur pour le satisfaire.

« Brahmâ je t’en prie, viens me chercher, ne me laisse pas seule ici. » murmura-t-elle tout en conservant ses yeux clos.

Puis, elle les ouvrit à nouveau sur ce qui l’entourait : la terre était verdoyante, d’une beauté saisissante et captivante, dansant sous la volonté de l’air environnant, qui venait également caresser la peau de la Déesse égarée en ces lieux. Lui portant le clapotement d’une eau chantante et claire qui devait s’écouler non loin de là, dérivant parmi ces terres qu’elle avait longuement observées de sa place dans les cieux, parmi les autres Dieux. Silencieuse, la jeune femme laissait son regard courir le long de cette plaine, interrompant sa course sur les tentes qu’elle pouvait apercevoir au loin. Hautes et peu larges, hautes et longues… il y en avait de toutes sortes, désignant sans doute des lieux dont elle n’arrivait à saisir la besogne. D’autres hommes s’y trouvaient, elle les entendait vaguement, hurlant, criant, riant… sans parler de ces pleurs qu’elle pouvait saisir, symbolisant sans doute les êtres que ceux-ci torturaient pour une connaissance, quelle qu’elle puisse être.

Brusquement, la laissant pousser une exclamation de surprise, elle sentit une main se refermer sur son bras, la poussant dans la seconde suivante à chercher un moyen de s’enfuir à nouveau, de s’esquiver de cette étreinte qu’elle ne désirait pas. Son cœur palpitait de plus en plus fort contre sa poitrine, lui faisant entendre le bruit d’un tambour à ses oreilles ; amenuisant sensiblement son souffle, pendant que ses prunelles exprimaient la crainte de cet instant, mais surtout de ces hommes qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle savait être des soldats ennemis, des meurtriers faisant partit d’une armée attaquant son doux pays, son Inde, son peuple, sa patrie.

« Lâchez-moi, je vous en prie. Supplia-t-elle alors tout en cherchant à lui échapper, sa longue chevelure virevoltant au gré d’un vent chahuteur qui faisait frissonner les arbres environnants.
- Et pourquoi ça ? demanda-t-il, esquissant un sourire à l’ironie parfaite dans la même seconde, observant ses camarades qui se gaussaient un peu plus loin.
- Tout simplement parce je me nomme Silva, princesse d’Arménie, et que mon père, l’Empereur, risquerait de vous immoler vivant s’il apprenait vos actes. » affirma-t-elle avec aplomb.

Le mensonge paraissait s’écouler de ses lèvres tel le fielleux venin du serpent ; mais n’était-elle pas Sarasvatî, déesse de la rivière, de la connaissance, de l’éloquence, de la sagesse, maîtresse des arts, mère de la poésie ? Ainsi allait son aisance dans la parole et l’imagination… de plus, ce jour, sa position était plus instable que jamais, la laissant détester cette venue sur terre qu’elle n’avait en aucune manière désirée. L’homme se trouvant devant elle paraissait plutôt surpris, et moins sur ses gardes, aussi en profita-t-elle pour se libérer d’un geste sec, et relever avec une insolente fierté son visage de manière à rendre crédible le mensonge qui était le sien, avant de plaquer sa main sans douceur sur la joue de l’impertinent.

« Ces indous m’avaient tout simplement enlevée dans l’espoir de pouvoir se servir de moi pour s’attirer le soutien de mon père et de ses alliers de Germanie. Allez-vous donc justifier cela en apportant le crédit de cet acte à votre peuple ? Plus encore, en souillant celle sur laquelle ils n’auraient jamais osé poser ne serait-ce que le petit doigt ? »

‘Kâlî… merci pour ton attitude détestable qui aujourd’hui me sert.’ pensa-t-elle tout en conservant cette attitude de jeune femme arrogante au possible. L’homme devant elle possédait une peau tout aussi foncée que ceux de ces terres qu’elle était en tout logique venu guider sur les chemins de la sagesse et de la connaissance, ses cheveux étaient sombres et bouclés et la couleur de ses yeux se mariaient à celle des nuits où l’astre lunaire se faisait porter pâle. Mais rien n’est jamais si simple, car l’un d’eux s’approcha de la jeune femme immobile, le menton levé dans sa direction, le maintien d’une Reine consumant tout son être. Pourtant, elle le sut dès que ses iris glissèrent sur les siens, cela n’y ferait rien. Et il était déjà trop tard pour tenter de fuir à nouveau… d’autant plus que peu importait où se posait son regard, l’armée ennemie la rattraperait tôt ou tard. Ses doigts emprisonnèrent violemment le bras de celle qui sentait ses espoirs se dissoudrent peu à peu, la menant au plus près de sa personne, ses lèvres frôlant celles de la fine demoiselle.

« Une princesse hein ? J’ai jamais embrassé une princesse. Termina-t-il sous un murmure avant de conduire ses lèvres sur les siennes.
- Et la colère d’une Déesse, as-tu déjà connu ? siffla-t-elle tout en détournant la tête pour esquiver son baiser. Si elle n'avait tout d'abord pas prévu de le mettre à l'épreuve, Sarasvatî retrouvait tout ce qui faisait d'elle une déité à cet instant. La sagesse voudrait que non, mais il semblerait évident qu’il le faudrait pourtant. Kâlî, je t’implore à l’image d’une mortelle, viens à mon aide.
- Tu crois vraiment que l’on va venir te sauver ? se moqua-t-il sous l’écho de ses hommes.
- Si j’ai raison, tu devras promettre de cesser de malmener des êtres plus faibles que toi, et il en va de même pour tes hommes.
- Très bien. »

Aussitôt qu’il eut formulé ces paroles, un tigre au pelage blanc apparu aux côtés de la jeune femme, montrant les crocs, et le poussa à reculer tout en relâchant sa prisonnière. L’animal d’une taille imposante et bien plus importante que celle habituelle des félins de ces terres, s’accola au côté de Sarasvatî, veillant à sa sécurité. La plupart des compagnons du commandant fuirent sans même attendre son ordre ou son autorisation pour rejoindre le campement, tandis que celui-ci persistait dans l’immobilisme, laissant sa crainte tétaniser son être dans une position, qui devant un véritable tigre, lui aurait coûtée la vie. La Déesse n’attendit guère plus longtemps, montant sur le dos de l’animal, à vrai dire bien différent de son habituelle monture, elle laissa ses doigts s’enliser dans le doux pelage de celui-ci, dont la blancheur ne se trouvait interrompu que par de fines stries toutes aussi noires que les abysses des ténèbres de Kâlî.

« Si tu viens à renier ton serment, sache que ta langue fourchera jusqu’à t’étouffer lentement, t’empêchant de poursuivre l’ignominie, dans laquelle tu comptais te complaire ici. Et alors tu comprendras, qu’aujourd’hui tes pas, t’auront fait connaître Sarasvatî, déesse de la sagesse et de la connaissance, amie de la grande Kâlî, qui te repoussa de sa prestance. »

Sur ces mots, le tigre se détourna de l’homme sans plus s’en préoccuper, avant de disparaître au loin parmi les ombres de la forêt, en compagnie de la douce jeune femme, prétendument nommée Silva, dont le visage si doux et si paisible hantait encore celui qui se tenait là, à regarder fixement les arbres folâtrant avec le ciel et les astres à chaque heure du jour ou de la nuit. Il restait là, attendant qu’elle finisse par reparaître et lui pardonne son acte, mais malgré son obstination qui le fit prendre pour un fou, jamais elle ne revint en ces lieux.

Et si pourtant son histoire mortelle ne s’interrompit nullement à cette seconde, cela fut le cas de ses premiers pas, et de cette histoire que les enfants se chuchotent encore à l’oreille, lorsqu’ils aperçoivent l’ombre d’une jeune femme montée sur ce tigre qui passe à proximité de leur village. On dit aussi que le soldat quitta l’armée pour se contenter d’apprendre le panthéon hindouiste et se conformer à louer cette déesse dont il avait croisé la route, mais également à honorer la promesse faite sous l’inconfort de la non croyance.



Noms Importants :
" Kâlî, la Noire est la déesse mère destructrice et créatrice de l'hindouisme. C'est l'aspect féroce de la Devî, la déesse suprême, qui est fondamentale à toutes autres déités hindoues. " [Cf. Wikipédia]
Brahmâ : l'un des trois principaux dieux masculins de la religion hindouiste, et l'époux de Sarasvatî.

En fait... mis à part les dieux principaux hindous, moi non plus x) ...
Mais je me suis basée sur les passages que j'avais lu sur ceux-ci, leurs apparitions sur terre, même si c'était différent de la réalité, d'une saga de livres de Christofer Pike, nommé La Vampire.

En tout cas merci

J'ai beaucoup aimé l'histoire. Et te lire est un vrai plaisir. C'est tellement fluide. Bravo!

Et pourtant c'est génial ! (C'est sans doute lui qui a commencé à dire que les vampires résistaient au soleil -d'une manière bien plus poussée que les vampires d'Anne Rice.)

Je te conseille au moins le tome 1, histoire que tu vois un peu quel genre c'est... il doit être en bibliothèque je pense.